En fauteuil, aidés d'une canne, aveugles… les personnes en situation de handicap espèrent que la prochaine municipalité rémoise continuera les efforts initiés en matière d'accessibilité depuis une décennie.
Accessibilité. Quand j'ai demandé aux associations rémoises qui représentent les personnes en situation de handicap ce qu'un maire peut changer pour leur faciliter la vie, un mot leur vient immédiatement à la bouche : l'accessibilité. Car s'il y a bien un levier que les maires peuvent actionner, c'est celui lié à mobilité. Comprendre : la voierie, les facilités d'accès aux établissements recevant du public ou encore les transports en commun. Comme je dispose de toutes mes facultés pour me déplacer, j'ai demandé aux principaux intéressés ce qu'ils attendaient des candidats et du futur maire qui sera élu. Sans surprise, ils ont beaucoup de revendications à mettre sur la table.
A l'hôpital Robert Debré, en face du relais H, la cafétéria où se reposent soignants, malades et familles, Badia Allard discute avec la présidente locale de l'association de lutte contre le cancer. "Viens, viens", me dit-elle d'un geste de main. Sur son fauteuil électrique, la représentante d'APF (association des paralysés de France) prête son oreille attentive aux malades et aux familles. Quand je lui pose la question fatidique, elle a forcément beaucoup de choses à dire. "Il y a eu des progrès", concède-t-elle, avant d'enchaîner : "Il faut que pour les transports, cela s'améliore. Ce n'est pas possible de devoir laisser passer des bus pendant 45 minutes car ils ne sont pas accessibles aux personnes en fauteuil." Même si, la Rémoise le souligne, "la Citura (le réseau de transport rémois) s'est engagé à renouveler tout son parc de bus en 2025."
La rue, lieu de tous les dangers
Je le comprends vite, la mobilité est un enjeu central pour les personnes en situation de handicap. "Comment peut-on parler d'inclusion sans aborder la question des transports ?", soulève Badia Allard. "Tout dépend du degré d'autonomie de chacun", souligne Geoffray Courtines, du comité Valentin Haüy.La mobilité en ville concerne également des personnes aux handicaps moins visibles : les aveugles, malvoyants, sourds et malentendants. "C'est le handicap le 'plus facile' à compenser", observe Franck Durand, maître de conférence à l'université de Reims, "car il peut être compensé par du matériel et de la logistique." L'universitaire a tenu un colloque début février sur le thème de la loi du 11 février 2005 relatives aux personnes handicapées. Selon lui et les différents spécialistes invités, la loi a induit de nombreux progrès concernant l'aménagement des communes aux personnes handicapées. En revanche, de nombreux progrès restent à faire, notamment en terme de sensibilisation et de prise de conscience.
Des progrès insuffisants
C'est précisément le combat de Michèle Champeaux et Geoffray Courtines du comité Valentin Haüy. Dans le petit local rue du Barbâtre à Reims, ils aident les personnes déficientes visuelles. Malvoyante, la présidente du comité a préparé une liste de leurs revendications en concertation avec les bénévoles de l'association. Et elle est longue.S'ils reconnaissent des progrès quant aux indications sonores dans la cité des sacres et les transports, les membres du comité Valentin Haüy ont recensé quelques inepties. Les feux sonores par exemple. Ils ont beau être de plus en plus nombreux, ils n'indiquent pourtant pas le nom de la rue où ils se trouvent. Résultat : les aveugles et malvoyants ne peuvent pas se repérer. "Alors qu'il suffit qu'un technicien règle un boîtier, ce n'est ni cher, ni compliqué", argue la présidente. Elle prend le cas du carrefour Sainte-Anne, situé à quelques pas de la basilique Sainte-Clothilde, mis en place il y a quelques années. Les feux sont bien sonores et donnent bien les indications de rue. "Mais alors, si ça a été fait ici, pourquoi ne pas continuer ?", s'interroge Michèle Champeaux. Et Franck Durand de mettre en garde :
Les plus gros progrès concernent le centre-ville mais souvent, les quartiers périphériques sont en retard.
- Franck Durand, maître de conférence à l'université de Reims.
De son côté, Geoffray a noté quelques dysfonctionnements : à la CAF (caisses d'allocations familiales), la borne sonore renseigne "bienvenue à la sécurité sociale". A la médiathèque Jean-Falala, l'accueil n'est pas indiqué au bon endroit. "Pour une personne qui n'a pas l'habitude, elle peut tourner pendant longtemps avant de trouver le bon endroit", déplore le bénévole. Des éléments qui paraissent anecdotiques aux yeux des valides, mais qui révèlent une absence de prise de conscience de la part de ceux qui mettent en place ces dispositifs. "Ce n'est pourtant pas faute de proposer notre expertise", soupire Michèle Champeaux. Un enjeu central selon Franck Durand : "Nous allons dans la bonne direction, mais nous ferons de vrais progrès quand il y aura une prise de conscience collective."
Les rues de Reims ne sont plus sûres
Autre point de crispation : le manque de marquages au sol dans la ville. Une personne malvoyante a besoin de contraste pour se déplacer en autonomie. L'exemple le plus caractéristique étant celui de la nouvelle esplanade Simone-Veil, "très minérale" pour certains… et surtout très accidentogène. "Cela ne concerne pas uniquement les personnes comme nous !", sourit Michèle Champeaux. "Quand il y a des mariages et qu'il y a un grand soleil, les gens se cassent la figure à cause de la luminosité et des marches blanches." Cette fois, la présidente ne pointe pas la mairie, mais l'architecte des bâtiments de France qui selon elle, refuse de rajouter des marquages au sol pourtant obligatoires. "Au-delà de trois marches, la loi stipule que des bandes d'éveil de vigilance (des bandes de relief ou de couleur qui avertissent le piéton du début d'un escalier) doivent être installés, mais ce n'est pas le cas."Un vocabulaire technique, qui me fait prendre conscience que leur combat a des chances de continuer longtemps. "On avertit le maire, qui est à notre écoute, mais on a l'impression que certains services ne suivent pas", se désole-t-elle. Quand elle mentionne les "escaliers pas d'âne" aussi, je comprends que ce que je vois comme de longues marches un peu design sont en fait un véritable piège pour les personnes qui ont une mobilité réduite. Surtout, la loi les interdit. "S'il nous arrive quelque chose et qu'on fait un recours, c'est le maire qui sera responsable", prévient Michèle Champeaux, qui souligne que dans ce cas précis, ce n'est pas l'action de l'édile qui est remise en question.
Concernant la voirie, les "zones 30" se révèlent également très dangereuses pour les piétons déficients visuels. "Ce n'est pas la limitation de vitesse qui nous pose souci, mais leur architecture", abondent les membres du comité. "Il faut que les limites entre le trottoir et la route soient plus démarqués car nous ne voyons pas la différence." Les rues du centre-ville ne seraient donc plus sûres, pour paraphraser un célèbre humoriste. En plus de ces zones limitées à 30 km/h, les rues à contresens pour les cyclistes sont également sources d'embûches. "On entend arriver les voitures dans un sens et du coup, on ne s'attend pas à ce qu'un vélo arrive dans l'autre sens", expose Geoffray Courtines. "Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai failli me faire renverser."
C'est sans compter les nouveaux modes de transports comme la trottinette électrique, les skateboards, le manque d'infrastructures dans la ville... "et le manque de civisme", pointe Franck Durand. "Mon collègue aveugle, qui est intervenu lors du colloque sur le handicap, nous disait qu'il ne s'est jamais senti autant en insécurité qu'aujourd'hui dans la rue à cause des nouveaux moyens de transport. Il faut que les gens prennent conscience qu'ils partagent la voie publique."Avoir accès aux informations municipales
Accéder aux transports, se déplacer en sécurité et exercer pleinement sa citoyenneté. Voilà les principales revendications des associations. Pour ce faire, il faut se rendre sur le site internet sans encombre, malgré la cécité. "Il existe des normes en la matière", précise Geoffray Courtines, qui regrette que le site de la ville de Reims ne soit pas adapté. Autre point soulevé par Franck Durand : le vote des personnes aveugles n'est pas secret quand les bulletins ne sont pas imprimés en braille.Exercer sa citoyenneté, c'est également pouvoir s'informer sur la vie démocratique de la cité. Cela passe par la traduction systématique des conseils municipaux et autres allocutions publiques en langue des signes pour les personnes sourdes et malentendantes. "Elles ont moins de soucis pour se déplacer qu'en terme de communication", détaille Pauline Buquand, interprète en langue des signes française du Sils 51. "Il arrive que beaucoup de personnes n'assistent pas à certains événements car il n'est pas précisé que l'événement leur est accessible."
Un constat partagé par Nathalie Beck, de l'association des sourds de Reims (ASRCA), qui analyse : "C'est un handicap invisible, qui implique la communication." Car les sous-titres ne suffisent pas toujours. Le public sourd doit également faire face à un problème d'illettrisme souligne-t-elle : "Pendant longtemps, la scolarité des sourds a été impossible. Il n'existe que très peu d'établissements bilingues, de professeurs et d'auxiliaires de vie scolaire formés."
Dans la saison 5 de la série à succès Skam, une des héroïnes est sourde.
Et la membre du conseil d'administration d'abonder : "Pour aménager les salles qui accueillent du public, on investit une fois dans des travaux pour rendre les infrastructures accessibles aux personnes à mobilité réduite. Pour les sourds, il faut engager des interprètes à chaque allocution, et donc les payer. C'est le nerf de la guerre, le financement." Un argument que Franck Durand refuse catégoriquement :
Toutefois, Nathalie Beck l'assure, la ville de Reims n'est pas la pire en la matière et de nombreux progrès sont constatés, comme la retranscription en langue des signes de tous les conseils municipaux depuis septembre 2019. "On espère au moins que la politique en faveur de ce handicap continuera", glisse-t-elle.L'argument budgétaire n'est jamais recevable. Quand on a de l'argent, même si on en a peu, on a le pouvoir de le dépenser. L'important, c'est ce qu'on en fait.
- Franck Durand, maître de conférence à l'université de Reims.